Depuis plusieurs mois déjà, je possède un magnifique objectif Voigtländer Color-Skopar 20 mm f 3,5 dont une des principales qualités consiste à se faire oublier au fond de mon sac à dos photo, tellement il est petit et léger. Quel plaisir donc de pouvoir le confronter à un objectif mythique : Carl Zeiss Distagon ZE 21 mm f/2,8.
Ce dernier possède en fait une réputation qui n’est plus à faire : c’est simplement le meilleur objectif super grand-angle pour appareils reflex depuis qu’il était sorti en monture Contax. Si la dernière mouture intègre des verres sans plomb, le calcul optique n’a subi que quelques modifications mineures : composé de 16 éléments en treize groupes, l’objectif bénéficie aussi du traitement multicouche propre au fabricant allemand et d’une bague de mise au point manuelle qui ne déplace que le groupe arrière de l’optique pour conserver les performances optiques, de l’infini à la distance de mise au point la plus proche (0,22 m).
Sa réalisation est manifestement beaucoup plus ambitieuse que celle du Color-Skopar 20 mm f/3, 5 qui mise tout sur la compacité de l’objectif : avec un poids de seulement 200g et une longueur de 29 mm, l’objectif ne demande que peu de place dans un fourre- tout et rend l’ensemble appareil-objectif particulièrement discret — un atout majeur pour la photographie de voyage et de reportage. Le Carl Zeiss Distagon ZE 21 mm f/2,8 est trois fois plus lourd (600 g) et encombrant (109 mm) et il se remarque facilement par la finition chromée de sa bague avant, les matériaux et la forme de son pare-soleil.
Les deux objectifs sortent d’ailleurs de la même usine : bien que la société Zeiss soit à l’origine de la conception de l’objectif, celui-ci est, tout comme les autres modèles des gammes ZF/ZF II, ZK et ZE, fabriqué au Japon par le sous-traitant Cosina, également acheteur des droits de la prestigieuse marque Voigtländer. Et c’est leur réalisation qui trahit la parenté de deux optiques : fabrication en métal, finition noire satinée, inscriptions et repères gravées et peintes en blanc et rouge, le Color-Skopar et le Distagon promettent une robustesse à toute épreuve, surtout le dernier dont les matériaux utilisés semblent être particulièrement épais et résistants.
À noter aussi qu’aucun des deux n’offre une mise au point automatique, mais uniquement des contacts électriques pour assurer la communication entre objectif et boîtier. Toutefois, les circuits utilisés donnent des renseignements inégaux : seul le Distagon communique son identité à l’appareil pour que ce dernier puisse l’enregistrer parmi les métadonnées EXIF des fichiers. Quant au Color-Skopar, il ne révèle que sa focale et son ouverture…
Nous l’avons déjà évoqué : les deux objectifs sont à mise au point manuelle, bien qu’ils transmettent les informations nécessaires au témoin de mise au point, situé dans le viseur de l’appareil. Le viseur a tout intérêt à être aussi large que lumineux pour vérifier et affiner la mise au point. Les appareils plein format réussissent bien mieux à cet exercice, même si l’ajout d’un verre de visée « haute précision » est conseillé : un peu moins lumineux, il est aussi plus contrasté et ainsi mieux adapté à l’opération manuelle.
Les deux objectifs possèdent une bague de mise au point agréable à manipuler, douce et fluide, signe d’une mécanique soignée. Si le Voigtländer offre une course sur 180 ° entre la distance de mise au point minimale (0,20 m) et l’infini, celle du Distagon est un peu plus courte et plus progressive, c’est qui est avantageux pour la photo de reportage, mais un peu moins pour la photo de paysage. La bague du Distagon claque bruyamment lorsqu’elle arrive en bout de course, c’est sans doute dû aux matériaux utilisés. Si ce bruit ne dérange guère en usage photo, il devient très gênant en mode vidéo — si vous utilisez le microphone interne, évitez de déplacer la bague jusqu’aux positions extrêmes. Si l’opération du Color-Skopar est nettement plus discrète, vous n’échapperez pas pour autant à un petit bruit sourd…
Zeiss/Cosina livre le Distagon ZE 21 mm f/2, 8 avec son pare-soleil en corolle dédié. Muni d’une baïonnette, le pare-soleil, dont le revêtement antireflet tend à se décoller, se fixe assez facilement sur la somptueuse bague chromée de l’objectif, pour peu que l’on dispose de suffisamment de lumière pour distinguer les repères. S’il est particulièrement discret, le petit point noir sur l’objectif est malheureusement fort difficile à localiser dans le noir. Sans lui, l’alignement des pétales du pare-soleil devient vite un jeu de hasard.
Plutôt onéreux, le pare-soleil du Color-Skopar n’est pas fourni et doit être acheté à part. Allongeant l’objectif de seulement quelques centimètres, esthétiquement réussi, discret et d’une efficacité satisfaisante, ce pare-soleil n’est malheureusement pas compatible avec le bouchon de l’objectif : il faut donc choisir l’un ou l’autre pour protéger la lentille frontale, ce qui n’est guère commode.
La manipulation des deux objectifs est globalement très agréable, leur excellente finition contribue grandement au plaisir d’utiliser de tels objets superbement réalisés. Cependant, je trouve le fût du Distagon un peu trop lisse, malgré la présence d’une bague de mise au point finement rainurée (celle du Color-Skopar dispose d’un revêtement en caoutchouc, plus agrippant) : j’ai vécu constamment dans la peur de laisser l’onéreux cailloux s ‘échapper de mes mains. Qui plus est, aucun des deux dispose d’un repère saillant, (presque) indispensable dans l’obscurité pour bien positionner l’objectif face à la baïonnette du boîtier. Bref, à force de privilégier un design aux lignes épurées, le fabricant à fait quelques concessions sur la facilité d’emploi du Distagon ZE 21 mm f/2, 8.
Pendant longtemps, Canon n’a pas tenu compte des revendications des acheteurs de ses boitiers « plein format » : dès la sortie du Canon EOS 1Ds il y a déjà huit ans, aucune des optiques super grand-angulaires de la marque n’était à même de produire des images bien définies jusqu’à la périphérie de l’image. De nombreux photographes se sont donc rabattu sur l’un des rares et mythiques Carl Zeiss Distagon 21 mm f/2.8 en monture Contax, sur certains cailloux Olympus en monture OM ou sur l’excellent Nikon AF-S 14-24 mm f/2.8G ED.
Aujourd’hui, plusieurs objectifs de la gamme Canon sont d’excellente qualité et capable de satisfaire les photographes même très exigeants, de quoi s’interroger sur l’utilité d’investir dans un objectif de la gamme Zeiss : EF 16-35 mm f 2.8 USM L II, 24 mm f 1.4 USM L II, TS-E 17 mm f/4 L et TS-E 24 mm f/3, 5 L II.
Si la qualité optique est sans doute le critère le plus « objectif » et le plus facile pour évaluer les performances d’un objectif, il en existe d’autres, plus subjectifs, mais aussi importants pour un photographe. Au-delà des mesures FTM (fonction de transfert de modulation), il y a aussi des caractéristiques de reproduction des tonalités et des couleurs (rendu) qui sont propres à la marque et au modèle de l’objectif. Les optiques du fabricant Carl Zeiss sont justement réputées pour leur rendu légèrement chaud (chaleureux) et la reproduction minutieuse des petits détails (microcontraste) – de quoi soupçonner que les deux filtres Clarté et Vibrance sont appliquées à la prise de vue !
En termes de rendu des couleurs, le Distagon 21 mm f/2.8 se distingue des objectifs Canon et du Color-Skopar de chez Voigtländer-Cosina. Si le rendu des objectifs Canon est “neutre”, celui des objectifs Zeiss et Voigtländer est plus chaud, mais la tendance n’est pas la même ; tandis que le Zeiss introduit une petite dominante jaune (on dirait qu’il incorpore un filtre Wratten 81), le Voigtländer produit des images un peu magenta. Le marketing a sans doute contribué à ces différences : les Voigtländer furent à l’origine destinés au seul marché japonais (et les Japonais n’apprécient guère de se retrouver en « peaux jaunes » sur leurs photos…) alors que les objectifs de la gamme Carl Zeiss visent les photographes occidentaux (les Américains notamment sont très friands de couleurs chaudes).
Je suis agréablement surpris du piqué de mon objectif Voigtländer. Si les analyses des mires FTM de certains testeurs lui attestent un piqué plutôt faible dans la périphérie de l’image, je lui trouve des performances assez satisfaisantes pour qu’on ferme le diaphragme jusqu’aux valeurs moyennes (f/8 ou f/11) — n’oublions pas que les mesures sont souvent réalisées à des distances ne rendant pas justice aux courtes focales. La plupart, et notamment le Color-Skopar, sont dépourvues de lentilles flottantes et souffrent d’une courbure de champ provoquant des bords moins nets lorsque le sujet photographié n’est que bidimensionnel ! Si les performances sur le terrain du Voigtländer démentent les mesures FTM, elles ne sont pas irréprochables, et notamment lorsqu’on les compare à celles, beaucoup plus homogènes, du Carl Zeiss Distagon.
J’ai effectué une série de prises de vue d’une mire de résolution USAF-1951, imprimée au format 40 × 50 cm et photographiée à une distance de 2 mètres environ (ce qui correspond à 100 fois la distance focale) afin de comparer la résolution et les aberrations chromatiques du Voigtländer Color-Skopar et du Carl Zeiss Distagon. Bien que la mire n’occupe alors qu’une petite partie du champ photographié, les mesures sont plus réalistes, mettant les deux objectifs sur un pied égal : le Distagon arbore en effet un dispositif à lentilles flottantes (seul le groupe arrière se déplace et sa taille n’augmente pas aux distances de mise au point plus proches) et le Voigtländer possède en tout et pour tout un élément asphérique, pas vraiment efficace pour compenser la perte de piqué aux distances inférieures. Pour exclure l’influence, néfaste, de la courbure du champ, j’ai utilisé le mode LiveView de mon EOS 5 D Mark II pour faire une mise au point précise sur chacune des zones analysées (centre, bords et bords extrêmes). Pour analyser les prises de vue, je me suis servi du logiciel Imatest Master.
La compacité du Color-Skopar engendre certains compromis influant sur l’homogénéité des performances optiques : si la résolution rejoint peu ou prou au centre de l’image celle du Distagon, elle décroît progressivement avant de chuter fortement dans la périphérie de l’image. S’il suffirait de fermer à f/5,6 pour obtenir la résolution la plus élevée, sur le terrain il faut visser jusqu’à f/8 ou à f/11 pour compenser la courbure du champ.
Le Zeiss Distagon est bien plus homogène : déjà pleinement utilisable à la pleine ouverture, le piqué devient superlatif en fermant deux diaphragmes (f/5,6), puis baisse graduellement sous l’influence grandissante de la diffraction. Mais l’objectif offre toujours de très bonnes performances, et ce, quelles que soient l’ouverture et la distance de mise au point.
Les aberrations chromatiques sont souvent à l’origine de la dégradation de qualité d’une image. Elles tendent à flouter les contours et leur amplitude est toujours proportionnelle à la distance qui les sépare du centre de l’image. Si elles envahissent les images réalisées au Color-Skopar, les aberrations chromatiques ne sont jamais vraiment gênantes sur celles prises avec le Distagon. Virtuellement invisibles au centre des images prises avec le Color-Skopar, elles deviennent très gênantes dans la périphérie, pour peu que vous réalisiez de très grands tirages. Les aberrations chromatiques du Distagon 21 mm f/2.8 sont en revanche tellement bien corrigées qu’elles restent peu visibles à travers le champ d’image et qu’elles ne nécessitent que rarement une correction logicielle.
Doté d’une lentille frontale aux dimensions génereuses, le Distagon n’est pas pour autant à l’abri du vignetage : entre f/2,8 et f/4, celui-ci demeure très marqué et il faut fermer à f/5,6 pour qu’il se fasse oublier sur la plupart des images, mieux que le Color-Skopar qu’il faut visser à f/8 ou à f/11 pour obtenir un taux de vignetage semblable.
Avec 16 élements en 13 groupes, le Distagon possède une construction optique plus sophistiquée que le Color-Skopar qui se contente de seulement 9 élements en 6 groupes dont une surface asphérique. On pourrait donc penser que le premier soit plus sensible aux lumières parasites et au flare que le second – or, ce n’est pas le cas, bien au contraire.
Bénéficiant du celèbre traitement multi-couches T* des objectifs Carl Zeiss, il ne produit qu’occasionellement des reflets gênants. Quant au Color-Skopar, presque irreprochable lorsque les sources lumineuses se trouvent dans l’image, il genère des taches magenta lorsqu’elles se situent hors champ.
Contrairement à l’histoire de la bible, notre David (Voigtländer Color-Skopar 20 mm f/3,5 SL II) n’a que peu de chances à gagner une confrontation directe avec Goliath (Distagon ZE 21 mm f/2,8), telle est la supériorité de l’objectif à conception allemande. Mais le Distagon, trois fois plus encombrant, lourd et cher n’est pas pour autant trois fois meilleur en termes de performances optiques. Si vous recherchez le produit parfait, capable de suivre l’évolution des capteurs pendant quelques années encore, le choix sera facile : le Distagon est le seul à proposer des performances optiques homogènes qui ne varient que peu au gré des changements du diaphragme et de la distance de mise au point. Bref, si vous êtes très exigeant et séduit par la superbe réalisation mécanique, le microcontraste et le rendu chaleureux et très piqué des objectifs Zeiss, n’hésitez pas. Le Distagon complète favorablement une collection de beaux cailloux à focale fixe. En revanche, si vous possèdez déjà un des objectifs super grand-angle (zoom ou focale fixe) cités plus haut, il vous faudra vous interroger sur la pertinence d’un tel achat.
Toutefois, l’excellence du Distagon n’est pas sans contrepartie. Hormis son poids et son gabarit, l’objectif demeure assez onéreux et il faut l’associer à un appareil à capteur « plein format » pour profiter de tous ses atouts. Avec un capteur de type APS-C, les caractéristiques, les performances et l’angle de champ de l’objectif ne sont pas si spectaculaires, surtout compte tenu de son tarif.
L’essai de longue durée du Distagon (merci encore à Richard !) ne m’a pas incité à laisser mon Color-Skopar en jachère. Celui-ci possède en effet de nombreux atouts : bien que son piqué ne soit pas homogène et ses aberrations chromatiques plutôt prononcées sur les bords, il produit néanmoins des images bien définies aux ouvertures les plus couramment utilisées en photo de paysage et d’architecture. Il est agréablement petit, léger, très bien fini et sa bague de mise au point est à la fois très souple et précise. Autre avantage : les filtres au diamètre 52 mm sont économiques et faciles à trouver. Avec le Voigtländer Ultron 40 mm f/2 SL II, il forme un duo diablement compact et efficace qui ne dénote pas sur un “petit capteur” : discret et facile à emporter, le Color-Skopar (l’Ultron aussi ) fera le bonheur des photographes à la recherche d’un objectif pour voyager léger et/ou pour passer inaperçu.
Focale : 21 mm (équivalent 30 mm sur un reflex au format APS-C)
Ouverture maximale/minimale : f/2.8 et f/22
Construction optique : 16 éléments en 12 groupes
Angle de champ : 90 °
Distance minimale de mise au point : 0.22 m
Diamètre de fixation pour filtre : 82 mm
Diamètre x longueur : 87 × 110mm
Poids : 620 g
Pare-soleil fourni
Focale : 20 mm (équivalent 32 mm sur un reflex au format APS-C)
Ouverture maximale/minimale : f/3.5 et f/22
Construction optique : 9 éléments en 6 groupes, une lentille asphérique, diaphragme circulaire à 9 lamelles
Angle de champ : 94 °
Distance minimale de mise au point : 0.2 m
Diamètre de fixation pour filtre : 52 mm
Diamètre x longueur : 63 mm x 28,8 mm
Poids : 205 g
Pare-soleil en option (LH-20)
Je remercions Jean-Christophe Courte du site Urbanbike.com et surtout Richard Frances du site Lapetiteboutiquephoto.com qui nous a permis d’essayer l’objectif pendant une période de prêt très étendue.