Pour ce qui est de l’évolution de la photographie, les cinquante dernières années ont été particulièrement fertiles en innovations. La démocratisation de la couleur puis, quarante années plus tard, celle du numérique ont contribué à rendre la prise de vue et le post-traitement accessibles au grand public. Avec un appareil photo contemporain, c’est désormais un jeu d’enfant obtenir des photos nettes et bien exposées, grâce aussi à des algorithmes « intelligents » qui détectent les visages et les yeux pour optimiser la mise au point et l’exposition.

Toutefois, il suffit de parcourir la moisson d’images postées sur le Web pour se rendre à l’évidence : si les images techniquement et esthétiquement convaincantes sont de plus en plus nombreuses, dans l’absolu, le taux de réussite n’a pas pour autant augmenté. Bien au contraire, puisque la facilité avec laquelle il est possible de créer et de partager ses images avec le monde entier n’incite pas forcement à porter un regard critique sur leurs qualités artistiques.

Il existe un certain nombre d’automatismes programmés, dérivés des modes entièrement automatiques, qui proposent des jeux de réglages adaptés à des pratiques photographiques aussi diversifiés que le portrait, le paysage, la proxiphotographie, le sport et la prise de vue nocturne. Ces modes interviennent non seulement sur le choix des paramètres d’exposition (ouverture, temps de pose et sensibilité ISO), mais également sur d’autres paramètres tels le mode de déclenchement, la gestion du flash incorporé et le rendu des images (saturation, contraste, netteté, etc.). Au final, les modes en question manquent cruellement de transparence et de souplesse et n’apportent rien aux photographes un tant soit peu curieux. Bien au contraire, ils brident votre créativité en vous imposant des paramètres de prise de vue stéréotypés.

Une bonne photo est toujours le résultat d’une rencontre joyeuse entre le sujet et les compétences techniques et artistiques du photographe. Pour autant qu’il maitrise la technique et qu’il observe quelques réglages de base en matière de cadrage et de composition, il est à même de produire des visuels saisissants. Mais pour lever ses oeuvres au-dessus de la mêlée, un photographe doit faire aussi preuve de créativité, d’audace et d’ouverture d’esprit.

La créativité, c’est-à-dire la capacité de créer, imaginer et/ou réaliser quelque chose de nouveau revêt alors une grande importante, ce qui n’a pas échappé aux fabricants de matériel photo et éditeurs de logiciels qui continuent à nous fournir des solutions censées donner des ailes à la créativité. Parmi les nombreux exemples figurent le système de « filtres créatifs » inventé par le photographe français Jean Coquin à la fin des années 1970 et les modes d’exposition et filtres « créatifs » des appareils Canon : si les premiers vous rendent la main sur l’un des deux principaux paramètres du triangle d’exposition (ouverture ou temps de pose) tout en ajustant l’autre automatiquement, les seconds vous offrent différents traitements (flou, grain, effet miniature, etc.), appliqués à l’issue de la prise de vue. Pour booster votre créativité, il existe différents techniques de prise de vue, parmi elles la pose lente, le mouvement de l’appareil photo, la variation de focale, la mise au point décalée, l’exposition multiple ou erronée, la synchronisation lente ou ultra rapide ou l’utilisation d’un point de vue insolite. Le post-traitement offre également une multitude de filtres et outils pour rendre les images plus percutantes.

Toutefois, aucun des outils et techniques mentionnés n’a jamais rendu une image plus « créative » et il ne suffit pas de suivre des trucs et astuces dénichés par-ci et par-là pour devenir un photographe créatif. La créativité vient de l’intérieur de vous-même et c’est vous qui en détenez la clé. Commencez par l’apprentissage de la technique et oubliez-la par la suite. Étudiez les maitres de l’art (photographie, peinture, sculpture, architecture) et inspirez-vous de leur manière de voir le monde sans pour autant l’adopter vous-même. Redécouvrez votre environnement quotidien au lieu de chercher l’inspiration photographique dans un pays lointain. Continuez à apprendre de nouvelles choses et n’hésitez pas à commettre des erreurs. Garder à l’esprit que le chemin menant à davantage de créativité est à la fois long et semé d’embuches.

Peut-on apprendre la créativité ? Si certains prétendent qu’elle serait un don réservé à quelques rares privilégiés, elle est en vérité accessible au plus grand nombre. Sous condition de la nourrir et entretenir régulièrement de nouvelles impressions et impulsions. Et de rester « débutant » et conserver un regard « frais » durant toute sa vie de photographe.

Bien que certains éditeurs de logiciels prétendent le contraire, une image réussie se conçoit dés son acquisition, en prenant en compte l’ensemble des étapes du flux de production. Si le post-traitement s’avère idéal pour parfaire le rendu d’une image, il ne devrait pas servir à maquiller des défauts de conception produits à la prise de vue.