La pratique photographique est loin d’être un long fleuve tranquille et le passage entre l’argentique et le numérique avait de quoi déboussoler un certain nombre de photographes. La numérisation d’images argentiques permet de faire le pont entre les deux technologies, de manière à réutiliser les images par le biais de la diffusion ou impression numérique. Mais le processus reste malheureusement assez chronophage tout en exigeant un certain niveau de maitrise pour obtenir de résultats concluants.
Rappelons que, pour numériser des documents transparents, il existe différents équipements dont chacun possède des avantages et des inconvénients :
un scanner à plat avec dos transparent permet de faire face à tous les originaux, aussi bien opaques que transparents ;
un scanner de films permet de numériser des bandes de films ou des diapositives sous cadre avec une qualité qui est, à de rares exceptions près, supérieure à celle obtenue avec des scanners à plat. Si la plupart des scanners de films sont cantonnés à des formats de films égaux ou inférieurs au format 24 x 36, certains modèles sont à même de numériser des films moyen format et, plus rarement, grand format ;
un scanner à tambour permet de produire des numérisations de grande qualité, à la fois en termes de résolution et de fidélité des couleurs. En revanche, il n’accepte que des documents souples et d’une faible épaisseur puisqu’il faut pouvoir les enrouler autour du cylindre. Beaucoup plus onéreux que les autres types de scanners, les scanners à tambour sont presque exclusivement utilisés dans un environnement professionnel, mais progressivement délaissés au profit de scanners à plat haut de gamme ;
un appareil numérique permet également d’obtenir, en fonction du capteur et de l’objectif employés, des résultats d’une qualité satisfaisante, voire excellente. À la différence d’un scanner à plat, qui emploie une barrette avec une rangée de photosites CCD, un appareil photo numérique ou un scanner film d’entrée de gamme utilise un capteur CMOS ou CCD fixe.
La résolution physique d’un scanner est définie, horizontalement, par le nombre de photosites de la barrette CCD et, verticalement, par la granularité de déplacement de celle-ci. Pour qu’il puisse numériser dans une autre résolution, le logiciel de numérisation supprime ou ajoute des informations par interpolation — une opération que l’on devrait plutôt confier à un logiciel d’image tel que Photoshop, beaucoup plus à l’aise pour ce qui est des algorithmes de reéchantillonnage. Malheureusement, les fiches de produit ne disent que rarement la vérité sur la résolution optique des scanners à plat puisque celle-ci celle-ci plafonne à 2300 points par pouce alors qu’elle est souvent annoncée comme étant trois fois plus importante. Les caractéristiques des scanners de films sont souvent beaucoup plus réalistes, avec une marge d’erreur qui ne dépasse que rarement 10 %. Finalement, les scanners de films sont seuls à tirer la quintessence des originaux au format 24 x 36 (détails et structure de grain) tandis que les fichiers issus de scanners à plat avec dos transparent manquent généralement de finesse aux résolutions les plus importantes.
La résolution physique d’un appareil photo est fixée, quant à elle, par le nombre de photosites du capteur CMOS ou CCD. Sous condition de faire participer l’ensemble des photosites à la formation de l’image, un capteur de 3780 × 5670 pixels (21,4 mégapixels effectifs) permet d’obtenir une résolution de 4000 ppp (points par pouce, ou 4000/25,4 points par millimètre) pour le format 24 × 36 alors qu’il faudrait un capteur de 8660 × 11 024 pixels (95 mégapixels effectifs) pour le format 6×7 (55 × 70 mm). Un capteur comportant 2740 × 4110 pixels (11,3 mégapixels effectifs) permet d’obtenir une résolution de 2900 ppp pour le format 24 x 36 alors que la même résolution nécessiterait un capteur de 6279 × 7992 pixels (50 mégapixels effectifs) pour le format 6×7 (55×70 mm). Dans la pratique, un capteur de 12 mégapixels convient pour produire des tirages de définition suffisante (240 à 300 ppp) au format A4 ou A3. Mais il faut également tenir en compte de la marge autour de vos diapos ou négative, qui vous fait perdre entre 5 et 10 % de la surface exploitable. Quant au ratio largeur/hauteur des films moyen format (4,5×6, 6×7 cm ou, pire, 6×6 cm), très différent de celui d’un capteur 24 x 36 ou APS-C, il engendre encore plus de pertes. Vous pouvez y remédier en prenant pour chaque original de multiples images, fusionnées par la suite dans Photoshop ou dans un logiciel d’assemblage panoramique.
Hormis la résolution physique, la plage de densité d’un scanner ou la plage dynamique d’un appareil photo est un critère de qualité très important. Lorsque la lumière rencontre une surface, une partie est réfléchie et une autre absorbée, en fonction du matériel, de la luminance et de la couleur de la surface. Le ratio entre la lumière réfléchie et la lumière absorbée est exprimé par l’opacité : un film parfaitement transparent posséderait une opacité de 1 (100% de la lumière traversent le film) alors qu’avec une une opacité égale à 2 seulement 50 % de la lumière est absorbé. En théorie, la valeur d’opacité peut être infinie pour des matières très sombres et denses. Pour quantifier la transmission de lumière, on utilise souvent la densité optique. Celle-ci correspond au logarithme base 10 de l’opacité : une opacité de 1 correspond alors à une densité de 0 et une opacité de 2 à une densité de 0,3. La densité minimale (Dmin) d’une diapositive se situe à 0,3 et sa densité maximale (DMax) à 2,7, ce qui correspond à une plage de densité (D = Dmax-Dmin) égale à 2,4 ; la plage de densité des négatifs est proche de 3,6 et celle des documents opaques se situe à 1,5. Rapportée à la plage dynamique, cela correspond à des valeurs de 8 (diapositive), 12 (négatif) ou 5 IL (document opaque).
Certains scanners à plat peinent à reproduire toutes les tonalités d’un négatif noir et blanc, leur plage de densité étant souvent surévaluée par le fabricant. En revanche, les appareils reflex et hybrides numériques actuels y parviennent aisément, sous condition de travailler au format RAW et de numériser des images bien exposées. Dans les cas les plus espérées, vous pouvez recourir aux outils de récupération de tonalités de votre logiciel de développement RAW ou de saisir deux versions de votre original, respectivement optimisées pour les hautes lumières et les tons foncés, puis fusionnées pour augmenter la plage dynamique de façon « traditionnelle » (fusion d’expositions) ou »moderne » (fusion HDR, suivie de tone mapping).
Je l’ai déjà écrit plus haut : plus la résolution de l’appareil est importante, meilleur sera le résultat en termes de piqué et de texture de grain. Si un appareil à capteur de 36 mégapixels (Nikon D800, D800E, D810, Sony 7R) est idéal pour la numérisation d’images argentiques, tous les appareils numériques récents conviennent, sous condition d’autoriser un changement de l’objectif.
À titre personnel, j’utilise actuellement un EOS 5D Mark II avec un capteur 24 x 36 de 22 mégapixels, mais je me suis servi, pendant plusieurs années, d’un EOS 1DS « Mark I » dont le capteur, également au format 24 x 36, possédait « seulement » 11 mégapixels. Avec ce dernier, il était déjà possible d’obtenir des numérisations de grande qualité, supérieure à celle d’un scanner à plat Epson V750, à partir d’originaux au format 24 x 36.
Plus encore que l’appareil photo, c’est l’objectif qui détermine la qualité technique (piqué et texture de grain) des images. Compte tenu des rapports de grossissement exigés pour exploiter tout le potentiel du capteur, vous pourriez opter pour un objectif standard avec une bague allonge ou, mieux, un objectif macro à même d’atteindre le rapport 1/1. Si les objectifs macro sont inégalés pour ce qui est de la planéité de champ et de l’absence de distorsion, vous pouvez également recycler un vieil objectif d’agrandisseur. Les modèles à six lentilles bénéficient tous d’une excellente qualité optique tout en étant proposés à des tarifs très intéressants sur le marché d’occasion. Ayant gardé mon matériel de labo, je possède encore une petite collection de ces objectifs spécialisés : deux EL Nikkor de première génération (50 mm f/4 et 80 mm f/5, 6), un vieux Agfa Color-Magnolar II 105 mm f/4, 5, un Rodenstock Rodagon 50 mm f/2, 8 et un Fujinon-EX 75 mm f/4, 5. Les deux derniers doivent être modifiés pour des travaux de numérisation : leur bague de diaphragme étant rétroéclairé, la lumière peut s’y engouffrer pour abaisser le contraste et générer des parasites. Parmi les objectifs mentionnés, l’EL Nikkor 80 mm f/5,6 et le Fujinon-EX 75 mm f/4,5, associés à un vieux soufflet macro, sont mes objectifs favoris pour saisir des extraits de mes originaux argentiques ; le « mythique » Fujinon-EX atteint son piqué optimal à f/5,6, ce qui est particulièrement appréciable avec des négatifs très denses.
Il est possible de choisir parmi différents matériels de numérisation :
un banc de reproduction pour diapositives tel qu’il a été commercialisé par Elinchrom, Multiblitz et Beseler. Il intègre un flash électronique pour éclairer l’original par transparence, une colonne pour fixer l’appareil photo et un soufflet pour déterminer fixer le rapport de grossissement et effectuer la mise au point. L’objectif utilisé est un objectif d’agrandisseur ;
un dispositif de duplication de diapositives comportant un petit soufflet et un cadre porte-diapositive. Parfois, un tube-allonge télescopique ou à longueur invariable remplace le soufflet. Une plaque translucide, située à l’arrière du porte-diapositive, permet d’éclairer l’original de manière homogène, en dirigeant l’ensemble vers une zone de ciel légèrement couvert ou une source d’éclairage (flash ou lumière continue);
un dispositif fait maison, composé d’un support pour l’appareil photo, d’un porte-film pour assurer la planéité du film et d’une source lumineuse stable et de qualité. Pour obtenir un alignement parfait entre l’appareil photo et le film, j’ai choisi à transformer mon agrandisseur Kaiser : il a suffi d’enlever la tête et de la remplacer par un bras support sur lequel j’ai fixé l’appareil photo. La colonne à manivelle assure alors un support particulièrement stable tout en facilitant le positionnement de l’appareil et la mise au point.
L’éclairage de la diapositive ou du négatif couleur ou noir et blanc est effectué exclusivement par l’arrière, c’est-à-dire par transparence. Faites donc attention à ne pas éclairer la face avant du film. Vous pouvez utiliser un flash électronique ou une source de lumière continue. Cette dernière est plus avantageuse puisqu’elle vous sert en même temps d’aide à la mise au point. À titre personnel, j’utilise un pupitre lumineux que j’employais autrefois pour examiner mes films. Il fournit une lumière homogène et « neutre », sa température de lumière étant proche de 5000 K et son indice de rendu de couleur (IRC) proche de 100.
Dans la seconde partie de cette minisaga consacrée à la numérisation sans scanner, j’aborderai tout ce qu’il faut savoir pour réussir ses numérisations, aussi bien à la prise de vue que lors du développement et posttraitement. Prochain rendez-vous dans quelques jours !