L’annonce en automne dernier d’un nouvel objectif à décentrement et bascule par Samyang fut l’effet d’une bombe. Si des fabricants tel que Canon, Hartblei, Nikon et Schneider-Kreuznach proposent d’ores et déjà des objectifs à décentrement et bascule plutôt onéreux, le Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC est le premier modèle relativement abordable, tout en étant disponible en plusieurs montures (Canon, Nikon, Sony et Pentax).
Rappelons que ces objectifs sont très prisés des photographes de paysage, d’architecture et de produits, car ils permettent de contrôler la perspective et la profondeur de champ, grâce à deux mouvements indépendants : le décentrement ajuste la position du sujet à l’intérieur du cercle d’image sans pour autant déplacer l’appareil photo et la bascule incline l’orientation du système optique par rapport au plan focal. Alors que le décentrement repose sur un cercle d’image dont les dimensions sont nettement plus importantes que celles de l’imageur, la bascule exploite la loi de Scheimpflug pour faire converger ou diverger les plans de netteté avant et arrière dans le but d’élargir ou de rétrécir la profondeur de champ.
Une autre application d’une telle optique consiste à éviter des reflets dans un miroir ou une vitre à l’aide d’un déplacement de l’appareil, suivi d’un mouvement latéral de l’objectif (décentrement) qui restaure le cadrage initial.
Le Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC, également distribué sous les appellations Bower, Rokinon, Pro-Optic et Walimex, est un objectif à mise au point manuelle qui est dépourvu de tout composant électronique. Contrairement aux objectifs PC Nikkor et Canon TS-E, il possède un diaphragme à commande manuelle dont l’information n’est pas transmise au boitier. L’objectif ne communique donc à ce dernier aucune information habituellement inscrite au sein des métadonnées EXIF (identité de l’objectif et données de prise de vue). Si la présence de contacts métalliques et d’un diaphragme motorisé autorise l’utilisation de l’ensemble de modes d’exposition et de mesure avec le Canon TS-E 24 mm f/3, 5 L II et le Nikon PC-E 24 mm f/3, 5 D ED, le Samyang n’opère qu’en modes Priorité ouverture et Manuel. De même, il faut fermer le diaphragme de l’objectif à son ouverture réelle avant de déclencher.
La réalisation mécanique de l’objectif rappelle celle de ses alter ego de chez Canon et Nikon : elle autorise une latitude de 17 mm (+/-8,5) en bascule et de 24 mm en décentrement (+/-12) ainsi qu’une rotation de 90° pour la partie bascule et de 180° pour la partie décentrement. Les deux axes de décentrement et de bascule peuvent être déplacés indépendamment l’un par rapport à l’autre, permettant une combinaison des deux mouvements pour des effets créatifs.
Si le Canon TS-E 24 mm f/3, 5 L II et le Nikon PC-E 24 mm f/3, 5 D ED sont entièrement réalisés en métal, le Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC possède une construction hybride qui fait la part belle aux pièces plastiques : mis à part le dispositif de décentrement, la monture et les vis de réglage, la plupart des pièces de l’objectif sont usinées en plastique, notamment le fut avant, la bague de mise au point, la bague de diaphragme et les vis de serrage. La mise à point opère par un déplacement linéaire du fut avant à l’intérieur du fut arrière.
À noter que la butée de la bague de mise au point ne coïncide pas avec le repère de l’infini. Il s’agit là d’une particularité des objectifs Samyang qui rend leur mise au point plutôt délicate. Heureusement, la bague de diaphragmes permet un réglage précis, au demi-diaphragme près. Si les boutons de réglage pour le décentrement et la bascule possèdent des dimensions correctes, autorisant une utilisation plutôt confortable, les verrous de serrage, réalisés dans une matière plastique grise (gare à la fiabilité dans le temps…), sont trop petits, écorchant la peau délicate sur les pointes de doigts après plusieurs heures d’utilisation. Faute d’un serrage à fond, l’objectif pique du nez et nécessite ainsi un nouvel ajustement de l’axe en question. La disposition des différentes commandes rend l’emploi de l’objectif à main levée très difficile, car il faudrait idéalement avoir trois mains pour commander l’appareil photo, maintenir l’ensemble boîtier/objectif et contrôler les différents réglages de ce dernier. Le Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC sera donc beaucoup plus à l’aise sur un pied solide, équipé d’une rotule aux réglages précis, d’un niveau à bulle et (idéalement) d’un verre de visée quadrillé.
Si le fabricant coréen fournit un étui de protection, il a malheureusement oublié un accessoire de plus essentiel : le pare-soleil. Doté d’une lentille frontale plutôt imposante, le Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC adopte un diamètre de filtre de 82 mm, peu courant. La monture de filtre ne tourne pas et favorise ainsi l’utilisation de filtres polarisants et dégradés. Quant au diaphragme, il ne possède que 6 pétales (8 pour le Canon et 9 pour le Nikon), transformant des points lumineux en hexagones : si l’ouverture est parfaitement circulaire à la pleine ouverture, elle produit un bokeh moins esthétique une fois fermée à des valeurs moyennes. À noter aussi qu’elle ne transforme pas des sources lumineuses en étoiles – il s’agit pourtant d’un effet très recherché en photo nocturne.
J’ai eu le plaisir d’essayer cet objectif pendant une semaine déjà bien chargé par la rédaction d’articles et la traduction d’un ouvrage. Je ne l’ai donc utilisé que dans son domaine de prédilection, la photo d’architecture. Si certains photographes n’hésiteraient pas à l’employer à sa pleine ouverture et basculé à fond pour produire un effet de miniature ou simuler un objectif « Holga » ou « Diana », j’estime que le Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC mérite sans doute mieux vu son tarif assez élevé…
En tant que fervent adepte du 14 mm de la même origine, je suis déjà habitué à basculer en mode LiveView pour effectuer une mise au point précise. Se reposer sur le viseur réflex d’un boitier 24 x 36 nécessiterait en fait de véritables yeux de lynx, car le grossissement de celui-ci ne permet pas de bien distinguer entre le flou et le net, notamment avec un objectif grand-angle. Le mode LiveView aide aussi à composer l’image et à l’examiner pour y détecter d’éventuels artéfacts provoqués par un mouvement trop vigoureux de l’axe de décentrement et/ou de bascule. Nous l’avons déjà évoqué, la manipulation des commandes de réglage et de serrage n’est guère confortable, dû au faible diamètre des boutons et au choix des matériaux. L’utilisation de plastique pour les vis de blocage ne contribue pas vraiment à donner une impression de durabilité.
J’aurai préféré des commandes en métal et de dimensions plus généreuses. Heureusement, la bague de mise au point est douce et suffisamment progressive pour permettre une mise au point précise (en mode LiveView et au grossissement maximal). La bague de diaphragmes est également bien dimensionnée et crantée pour autoriser un réglage au demi-diaphragme entre les ouvertures maximale (f/3, 5) et minimale (f/22).
La construction du Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC est plutôt sophistiquée, avec 16 éléments en 11 groupes dont deux éléments asphériques et 2 en verres à faible dispersion. Toutefois, il ne faut pas espérer les performances optiques très élevées du Canon TS-E 24 mm f/3, 5 L de deuxième génération ou celles, un peu moindres, du Nikon PC-E 24 mm f/3, 5 D ED. À sa pleine ouverture, l’objectif coréen produit des images molles, dues à une sous-correction des aberrations sphériques, et ce, malgré l’emploi de deux éléments asphériques, censés d’éliminer le défait en question. Il est donc nécessaire de fermer le diaphragme à f/5, 6 pour obtenir un piqué satisfaisant au centre et à f/11 pour une homogénéité convaincante entre le centre et les bords de l’image. Aux ouvertures de travail « courantes » en paysage et en architecture (entre f/8 et f/16), la qualité optique est très satisfaisante sans pour autant atteindre celle des ténors parmi les objectifs à décentrement et bascule, nettement plus onéreux. Le décentrement tend à déstabiliser l’équilibre optique : même en vissant le diaphragme à f/16, il subsiste une zone floue, située sur les bords en direction du décentrement (bords supérieurs en cas de compensation de contreplongée). Mais il s’agit là d’un phénomène qui n’épargne aucun de ces objectifs spécialisés. Quant à l’ouverture f/22, elle commence à détériorer le piqué.
Le rendu des images se distingue de celles prises avec mon Canon TS-E 24 mm f/3, 5 L de première génération : les images sont à la fois plus douces et plus chaudes, avec une dominante légèrement jaune qui correspond à celle de mon objectif Samyang 14 mm f/2, 8 ED AS IF UMC. Si vous êtes très exigeant en termes de fidélité des couleurs, vous pouvez créer un profil personnalisé pour Camera Raw/Lightroom, DxO Optics Pro, Photo Ninja, Raw Photo Processor ou Iridient Developer.
Grâce à l’intégration de deux éléments en verre à très faible dispersion (ED), l’aberration chromatique latérale et longitudinale est très bien corrigée et demeure quasiment invisible sur les images.
Au même titre que l’aberration chromatique, le vignetage demeure fort discret, y compris en cas de décentrement. Il suffit de fermer l’objectif à f/5,6 (sans décentrement) ou f/8 (avec décentrement) pour le faire disparaitre.
Si l’objectif souffre d’une distorsion en barillet assez importante (un comble vu que l’objectif est censé corriger des déformations de perspective…), celle-ci demeure facile à corriger par voie logicielle, car elle est dépourvue d’une distribution en forme de moustache. J’ai par ailleurs créé un profil de correction optique pour Camera Raw et LIghtroom (fourni à la fin de l’article) qui compense de manière très efficace la distorsion et le vignetage (à f/11). Il a été établi à l’aide d’un Canon EOS 5D Mark III, mais il est également utilisable pour corriger des images issues d’autres boîtiers Canon.
Hormis sa constitution mécanique et ses performances à pleine ouverture, le traitement multicouche du Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC est un des défauts les plus gênants. Dirigez l’objectif vers une source lumineuse assez puissante et il produit immanquablement de nombreux parasites colorés, et ce même, si la source en question se situe en dehors du cadre. Ici, le traitement UMC de Samyang n’est pas vraiment à la hauteur des traitements multicouches des autres fabricants. Souvent même, l’objectif produit de vilains reflets arc-en-ciel circulaires dont j’avais déjà constaté la présence lors de mes essais des objectifs 14, 24 et 35 mm de la même marque. Bref, sur ce point, peut mieux faire !
Samyang ne cesse de nous surprendre : après avoir présenté tour à tour des objectifs fish-eye et superlumineux très performants, le fabricant coréen s’attaque au marché hautement spécialisé et très restreint des objectifs à décentrement et bascule. Mais d’emblée, le nouveau venu souffre d’un sérieux handicap : son prix. Si les premiers produits bénéficiaient encore d’un prix de lancement très intéressant qui pouvait faire pardonner leurs défauts, le coréen semble avoir pris la mesure de son succès bien mérité : les tarifs pratiqués pour les créations les plus récentes ne sont plus si bon marché et les défauts les plus criants, à savoir une réalisation mécanique assez approximative et la fiabilité toute relative qui en découle, n’ont pas pour autant disparu, loin de là.
L’objectif fait donc le sujet d’un bilan mitigé : si ses performances optiques sont tout à fait convenables (sans être exceptionnelles), sa réalisation mécanique est assez médiocre et n’inspire pas vraiment confiance en ce qui concerne sa fiabilité dans le temps. L’objectif est commercialisé à un tarif qui n’incite plus vraiment à son achat impulsif : à 1000 euros environ, il faut vraiment avoir l’utilité des fonctions de décentrement et de bascule, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un objectif « universel » : plutôt lourd et encombrant, il n’est pas très lumineux.
Le Samyang T-S 24 mm f/3, 5 ED AS UMC cible les photographes experts et professionnels d’architecture et de paysage. Pour peu qu’ils économisent un peu plus longtemps, les Canonistes et Nikonistes peuvent acheter (neuf ou d’occasion) l’objectif proposé par leur fabricant : non seulement, celui-ci bénéficie d’une réalisation mécanique plus saine et de performances optiques plus élevées, mais aussi de conditions nettement plus favorables en cas de revente. Pour les utilisateurs d’appareils Sony et Pentax, la situation est différente, car il n’existe aucun rival aux caractéristiques similaires. Faut-il vraiment succomber au charme de ce caillou atypique ? La réponse est non si votre unique but est de faire joujou avec une faible profondeur de champ (un [Lensbaby] sera alors beaucoup moins cher et tout aussi efficace) eh oui, si vous êtes à la recherche d’un outil de travail plus économique pour redresser les perspectives et contrôler la profondeur de champ en architecture et paysage. Sous condition d’être patient et de prendre beaucoup de soin de votre matériel….
– Focale : 24 mm (équivalent 35 ou 38 mm sur un reflex au format APS-C)
– Ouverture maximale : f/3, 5
– Ouverture minimale : f/22
– Construction optique : 16 éléments en 11 groupes, 2 éléments asphériques et 2 en verres à faible dispersion, diaphragme à 6 lamelles
– Angle de champ : 83,5° (24×36)
– Mise au point : manuelle
– Distance minimale de mise au point : 0.20 m
– Diamètre de filtre : 82 mm
– Longueur : 113 mm
– Poids :535 g
– Prix : environ 1000 euros en monture EF, N, SA ou PK