Le minimalisme est très tendance et il peut être observé dans de nombreux domaines de la vie, dans l’art, le design, la décoration intérieure, la psychologie et même l’économie. Il occupe désormais une place de choix dans le huitième art, ou il continue à inspirer de nombreux photographes. État des lieux.
Apparu pour la première fois dans les années 1960, l’art minimal se caractérise par l’utilisation de formes élémentaires et simples ainsi que de matériaux et méthodes de production industrielle. Les premiers artistes minimalistes tels que Sol LeWitt et Donald Judd se rebellent à la fois contre les grands gestes émotionnels de l’expressionnisme abstrait et l’esthétisme trivial du Pop Art. Les œuvres de l’art minimal renoncent non seulement à toute écriture individuelle de l’artiste, mais également à toute interprétation, qu’elle soit métaphorique ou symbolique. L’œuvre est ce qu’elle est, la forme et le contenu forment une unité indissociable. Pour le dire avec les mots de Frank Stella, peintre et précurseur du minimalisme, » ce que tu vois, c’est ce que tu vois. »
Le terme « Minimal Art » apparait pour la première fois en 1965, dans un essai écrit par le philosophe anglais Richard Wollheim et publié par Arts Magazine. Cependant, l’auteur n’y fait pas référence aux sculptures de ce nouveau mouvement artistique, mais il décrit les objets readymade de Marcel Duchamp et les toiles d’Ad Reinhardt ou de Robert Rauschenberg. Le transfert de ce terme à la nouvelle tendance d’art sculptural n’est initié que plus tard par des critiques d’art qui l’utilisent parallèlement avec d’autres termes tels que « Cool Art », « Receptive Art » ou « Literalist Art ».
Il faut attendre l’année suivante pour que les œuvres des minimalistes soient présentées au public, dans l’exposition « Primary Structures » du Musée juif de New York. Au départ, le langage formel réduit à l’essentiel des minimalistes laisse perplexe non seulement le public, mais également les critiques d’art qui s’interrogent sur la raison d’être même de ce mouvement artistique. Mais rapidement, les minimalistes gagnent les faveurs des amateurs d’art et leur philosophie exerce même une grande influence sur d’autres tendances artistiques telles que le Land Art et l’art conceptuel.
Le minimalisme a également investi notre culture quotidienne, en proposant une réflexion sur le caractère essentiel et principal des choses. La tendance minimaliste s’accompagne ainsi d’une philosophie qu’il lui est propre et que l’on retrouve dans de nombreux domaines de création tels que la peinture, l’architecture, le design graphique, la photographie, la mode, le packaging, la musique, etc. Une philosophie qui fait notamment hommage à la formule emblématique « Less is more » de l’architecte Mies van der Rohe qui attribue la plus haute priorité au fonctionnalisme et rationalisme des objets et oeuvres d’art.
L’architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe est le père spirituel du minimalisme. On lui doit notamment le slogan célèbre « Less is more » (moins c’est mieux) et un style de construction épuré qui allie le verre, l’acier et le béton.
Si la photographie minimaliste s’inspire directement de l’art minimal de la seconde moitié du siècle dernier, ses racines sont en réalité bien plus profondes et remontent jusqu’aux années 1920. Outre-Atlantique, le groupe f/64, fondé par plusieurs photographes californiens, et notamment Ansel Adams, Edward Weston et Imogen Cunningham, se détourne dès 1932 du pictorialisme et se consacre à la photographie nette et précise d’objets du quotidien, de paysages et d’architecture. Outre-Rhin, le mouvement Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité) autour d’Albert Renger-Patzsch, August Sander et Karl Blossfeldt prône dès 1925 le caractère documentaire de la photographie.
Tandis que la montée du nazisme et le début de la Seconde Guerre mondiale mettent l’objectivisme en veille prolongée, celui-ci revient en force dès la fin des hostilités : en Amérique, le New Bauhaus, rebaptisé plus tard en Institute of Design, devient l’une des écoles de design et de photographie les plus influentes en Amérique.
Inauguré en 1937 par Lászlo Moholy-Nagy, le New Bauhaus aspire à abattre les barrières séparant les beaux-arts, les arts appliqués et l’industrie, en proposant une formation pluridisciplinaire qui encourage l’expérimentation des élèves. Parmi les professeurs figurent les photographes Harry Callahan et Aaron Siskind qui préfèrent des compositions très simples et parfois minimalistes pour exprimer leur intériorité.
Suite à sa dissolution par les Nazis, le Bauhaus trouva dans l’école d’Ulm une digne héritière. Fondée après la Seconde guerre mondiale, la Hochschule für Gestaltung ambitionnait à donner un enseignement solidement ancré dans le renouveau démocratique de l’Allemagne. Si cette école fermait ses portes en 1968, ses étudiants ont marqué tout de même le design contemporain de leur empreinte minimaliste : le langage des formes épuré de Dieter Rams, légendaire chef du design pour le fabricant de produits électroniques Braun, continue à exercer une influence non négligeable sur le design actuel. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les créations de Jonathan Ive, concepteur d’appareils tels que l’iPod et l’iPhone.
La photographie allemande de l’après-guerre est d’abord marquée par la photographie subjective dont les traditions et Idées remontent à l’époque du Bauhaus. Les photographes de ce mouvement fondé par Otto Steinert ne cherchent pas à refléter la réalité objective d’un sujet, mais uniquement son interprétation picturale. Pour comprendre une telle image, le spectateur doit mobiliser toute son imagination. Les photographes subjectives produisent principalement des images en noir et blanc et s’expriment principalement à travers de formes abstraites, de structures graphiques ainsi que de jeux d’ombres et de lumières.
Quant au couple de photographes Bernd et Hilla Becher, dont le travail porte principalement sur la documentation systématique de bâtiments industriels, ils poursuivent l’interprétation précise, rigoureuse et puriste des photographes des groupes « f/64 » et « Neue Sachlichkeit » et entrainent dans leur sillage plusieurs générations de photographes dont les plus célèbres sont Andreas Gursky, Thomas Ruff, Candida Höfer et Thomas Struth.
Alors que Hilla et Bernd Becher se consacraient à la documentation de l’architecture des bâtiments industriels, Karl Blossfeldt utilise un langage visuel très proche pour prouver que la nature est le meilleur bâtisseur.
Le minimalisme a-t-il une patrie ? Si la contribution d’artistes américains et allemands à ce mouvement artistique a toujours été très forte, le Japon pourrait être son pays d’origine. Pour s’en convaincre, il suffit de contempler hi no maru, peut-être le plus beau de tous les drapeaux nationaux, les cailloux bien ordonnés des jardins de temples et le mobilier simpliste, mais fonctionnel des maisons japonaises. Quant au haïku, il permet d’exprimer beaucoup avec peu de mots. À la manière des photos de paysage minimalistes de Shinzo Maeda et Hiroshi Sugimoto.
Bien que cela puisse déplaire à certains photographes, et notamment à ceux ayant la gâchette un peu facile, se lancer dans la photographie minimaliste n’est pas aussi facile que cela en a l’air. Pour trouver des sujets intéressants et gratifiants, il faut explorer son environnement et en observer patiemment les détails sous différents angles. Les pratiquants de la photographie contemplative vont encore plus loin puisqu’ils associent photographie et philosophie asiatique : la méditation précède l’acte de la prise de vue à proprement parler et ce dernier sert à vous connecter avec ce que vous voyez et ressentez au fond de vous-même. Le terme « miksang » (bon œil en tibétain) définit alors une forme de photographie contemplative qui vous demande à voir le monde d’une manière nouvelle, détachée de vos émotions et préjugés.
Comment reconnaitre une photo minimaliste ? Avant tout, celle-ci se distingue, comme le suggère la définition, par son économie très poussée d’éléments de composition. Le contenu de l’image n’est pas seulement réduit à un sujet prétendument banal et dénué de sens, mais il repose également sur un langage visuel très restreint. Une telle image peut être considérée comme réussie lorsqu’elle parvient à transmettre des émotions avec le peu d’éléments qu’elle possède. Ce n’est que dans l’imagination du spectateur qu’une image minimaliste devient pleine et son message intelligible. En fonction de de la personnalité et sensibilité du spectateur, une telle image peut donc évoquer des émotions et impressions très variées. Il existe différentes approches pour produire des photos minimalistes : la réduction au strict minimum des éléments qui y figurent, le recadrage du sujet principal pour n’en montrer qu’une partie pour ainsi stimuler l’imagination de l’observateur, la concentration sur des formes et motifs géométriques et la juxtaposition d’un petit élément et d’un vaste fond, pour ne citer que ces quelques techniques. Dans un sens plus large, il est également possible de jouer sur l’opposition d’éléments flous ou nets, pour que l’image entière ne soit pas plongée dans un flou de plus compact. Dans le cas contraire, il ne s’agit pas d’une photo minimaliste, mais d’une photo abstraite.
L’anglais Michael Kenna est incontestablement le plus célèbre photographe minimaliste contemporain. Ses photos de paysage, saisies le plus souvent en noir et blanc, se consacrent principalement à la relation entre les paysages naturels et les paysages sculptés par l’homme. Inscrites dans un carré rigoureux, les images de Michael Kenna naissent souvent dans des conditions difficiles et le photographe emploie donc régulièrement des poses longues qui peuvent durer plusieurs heures. D’où le mélange entre le net et le flou et l’abstraction parfois poussée à l’extrême de ses images dont certaines révèlent même des détails invisibles à l’œil nu
Comment dénicher des sujets pour la photo minimaliste ? Rassurez-vous, vous n’aurez nul besoin de faire de grands voyages, car les photos minimalistes naissent dans votre esprit. Si l’architecture, et notamment l’architecture moderne, est une source d’inspiration inépuisable, il est également possible de trouver de nombreux sujets dans la nature et, pourquoi pas, dans votre maison. Avec un peu de pratique et imagination, il est ainsi possible d’obtenir des résultats surprenants.
Plus encore que dans d’autres domaines de la photographie, une attention particulière doit être accordée à la composition et aux couleurs de l’image. S’il est parfois avantageux de respecter (plus ou moins aveuglement) les « règles » des tiers ou du nombre d’or, n’hésitez pas à les enfreindre pour suivre vos propres idées et instincts en matière de composition. Si la photographie ou la transformation en noir et blanc contribuent à accentuer votre composition minimaliste, mieux vaut ne pas s’en servir de façon systématique. Pour peu qu’elles forment une opposition ou une harmonie intéressante, les couleurs contribuent souvent à augmenter l’impact visuel d’une image minimaliste.
Une fois que vous y aurez pris gout, la pratique de la photographie minimaliste contribuera immanquablement à améliorer la composition de vos images. N’hésitez donc pas à mettre en pratique les conseils données au sein de ce dossier. De même, plus encore que la technique, votre créativité et imagination vous permettront de progresser dans l’art de la prise de vue !