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Le dématriçage : cuisson à géométrie variable

Le dématriçage : cuisson à géométrie variable

Tout commence par un paradoxe : si pratiquement tous les appareils numériques produisent des images en couleurs, leurs capteurs n’enregistrent que des variations de luminance, et donc exclusivement des niveaux de gris. Heureusement, une solution existe, et cela depuis la naissance des premiers appareils photo numériques : la matrice Bayer, nommée d’après son inventeur, un scientifique de chez Eastman Kodak. Il s’agit d’un agencement de filtres couleur qui alterne les couleurs primaires additives de façon à ce que les filtres verts soient deux fois plus nombreux que les filtres rouges et bleus.

La répartition des filtres singe en effet la perception humaine : la sensibilité maximale des bâtonnets de la rétine se situe à une longueur d’onde d’environ 550 nanomètres, ce qui correspond à la couleur verte — il suffit de faire une promenade dans la nature pour comprendre la raison de cette mise en accent !

L’effet moiré fait partie des artéfacts colorés qui se présentent parfois à l’issue du dématriçage. Si les algorithmes de dématriçage mettent tout en oeuvre pour l’éviter il se manifeste souvent lorsque les structures régulières du sujet photographié (grillages, filets, croisées de fenêtre, tissus) se superposent à celles des photosites du capteur, créant des interférences spatiales entre les deux structures. Le même phénomène se produit aussi lorsqu’on numérise une image composée de points de trame ou visualise des vêtements à rayure sur un téléviseur ou écran d’ordinateur. Si le moiré peut être corrigé au moins partiellement lors du traitement d’image, mieux vaut prévenir que guérir : un changement du rapport de grandissement (déplacement du photographe par rapport au sujet) ou un léger basculement de l’appareil peuvent être suffisants pour le supprimer.

Si la matrice Bayer est aujourd’hui prépondérante dans l’architecture des photosites, elle n’est pas la seule approche pour l’attribution des couleurs aux variations de gris. Fujifilm et Sigma prônent, depuis de nombreuses années déjà, des solutions originales et efficaces. Par le passé, Fujifilm avait utilisé pour ses capteurs une structure d’agencement en nid d’abeilles qui dévie de l’orientation horizontale et verticale des photosites. Un peu plus tard, ce même fabricant avait introduit une architecture basée sur le mélange de deux types de photosites (S et R), censés augmenter la dynamique du capteur. Aujourd’hui encore, Fujifilm fait cavalier seul avec ses capteurs dotés de la matrice X-Trans. Celle-ci bénéficie d’une répartition plus aléatoire qui ne se répète que tous les 6 x 6 au lieu de tous les 2 x 2 pixels.

Quant aux appareils photo de la société Sigma, ils incorporent des capteurs conçus à l’origine par Foveon qui tirent profit des différentes longueurs d’onde de la lumière et de leur capacité de pénétration plus au moins grande. Moyennant l’intégration de filtres couleur au sein du capteur, il est possible d’enregistrer les informations de couleur dans trois couches respectivement sensibles aux couleurs rouges, vertes et bleues.

Le dématriçage est un exercice d’équilibre entre la reproduction des couleurs et celle des détails. Heureusement, les algorithmes récents y parviennent fort bien. 

Pour attribuer à chaque pixel de l’image des informations de couleur complètes, le processeur de l’appareil photo ou le logiciel de développement Raw emploie un morceau de logiciel que l’on appelle dématriçage ou interpolation de couleur. Celui-ci utilise une partie des métadonnées présentes dans le fichier brut pour calculer, pixel par pixel, les informations de couleur manquantes à partir de celles des pixels voisins. Il va de soi qu’il s’agit ici d’un processus très complexe qui nécessite des algorithmes sophistiqués. Si certaines de ces règles de calcul sont accessibles aux développeurs de logiciels open source, d’autres restent la chasse gardée des grands éditeurs de logiciels photo tels que DxO Labs, Adobe ou Phase One.

Pour le dématriçage, le principal défi consiste à favoriser la restitution des couleurs sans pour autant sacrifier la restitution des détails. Cela passe obligatoirement par des algorithmes très gourmands en temps de calcul ; les algorithmes plus simples et donc plus rapides produisent souvent des artéfacts colorés qui nuisent à la précision des détails. Voilà une des raisons pour lesquelles les fabricants coiffent leurs capteurs de filtres antialiasing. Ces derniers ont deux missions principales : couper les hautes fréquences du sujet photographié pour ainsi réduire les artéfacts colorés et diffuser les faisceaux de lumière pour faciliter le calcul des informations de couleur manquantes. Avec en contrepartie une perte importante du piqué qu’il faut rattraper ultérieurement, dans l’appareil photo (Jpeg) ou le logiciel de développement (Raw).

À la différence des autres capteurs, le capteur Foveon s’affranchit des affres du dématriçage — il n’est point nécessaire d’effectuer une interpolation couleur et de le coiffer d’un filtre passe-bas. Ce dernier point est également à l’avantage du capteur X-Trans qui bénéficie d’un meilleur ratio entre définition et résolution ainsi que sensibilité et bruit. Toutefois, cet avantage se transforme parfois en inconvénient, car les moteurs de conversion des éditeurs cités plus hauts ont été optimisés pour le traitement de fichiers issus de capteurs à matrice Bayer : DxO PhotoLab boude les fichiers issus de capteurs Foveon et X-Trans alors que Camera Raw, Lightroom et, dans une moindre mesure, Capture One, peinent à restituer fidèlement les fins détails à la fois aléatoires et répétitifs de fichiers X-Trans, conduisant certains “Fujistes” très exigeants dans les bras d’éditeurs de logiciels plus exotiques tels que Iridient Developer, Raw Therapee et Raw Photo Processor.

Rappelons que le dématriçage n’est que le premier maillon de la chaîne de taches qui doivent être effectuées lors de la transformation d’un fichier Raw en fichier Bitmap. Mais c’est aussi celui qui détermine la restitution des couleurs et des détails d’une image. Le choix du logiciel de développement s’avère donc plus important que vous le pensiez.

Avec son nouveau logiciel X Raw Studio, Fujifilm se rapproche de très près de la quadrature du cercle : utiliser toute la puissance du moteur de dématriçage de l’appareil photo (rapidité et richesse de détails) pour développer les fichiers bruts et les enregistrer sur l’ordinateur. Ce dernier abrite aussi l’interface utilisateur du logiciel qui exige la connexion directe de l’appareil photo.

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