Qu’on les adore ou qu’on les déteste, les objectifs à miroir tel que le Canon RL 500 mm f/8 sont indéniablement pleins d’attraits. D’autant plus qu’ils ont perdu une bonne partie de leurs inconvénients depuis que les photographes se sont mis au numérique. Cet article tire le portrait de l’un des objectifs catadioptriques les moins connus qui est aussi l’un des meilleurs – levée de rideau pour le Canon Reflex Lens 500 mm f/8 !
Ma première expérience avec un objectif à miroirs remonte au milieu des années 1990. Afin de livrer quelques visuels aussi atypiques qu’originaux à un éditeur de guides de voyage taïwanais, j’avais investi dans un superbe Tamron SP 350 mm f/5,6 à monture Adaptall 2 et l’expérience fut plutôt satisfaisante. Mais malheureusement pas au point de conserver l’objectif par la suite – si les résultats avaient comblé toutes mes attentes, l’objectif en question n’était pas si facile à manipuler avec un appareil argentique alimenté avec des pellicules diapo couleur à faible sensibilité ISO : d’une part, la mise au point était très délicate, nécessitant souvent de multiplier les essais pour obtenir au moins une image parfaitement nette, d’autre part, la nécessité d’utiliser des vitesses relativement lentes rendait l’emploi à main levée quasiment impossible.
Plus récemment, j’ai trouvé un autre objectif Tamron, le SP 500 mm f/8 de première génération (modèle 55B) qui possède, tout comme son alter ego à focale plus courte, l’indéniable atout de s’adapter à la quasi-totalité des boitiers du marché, grâce à des montures interchangeables. Mais là encore, la mise au point reste extrêmement difficile à évaluer à travers le viseur d’un appareil reflex numérique, mandatant la visée Live View qui demande de fixer l’ensemble appareil-objectif sur un support solide. Or, l’adaptateur pour trépied n’a pas été fourni avec l’objectif en question, car il s’agissait à l’époque d’un accessoire optionnel. A ce jour, mon Tamron tarde encore à produire des photos au bokeh inimitable des objectifs à miroirs (la distance de mise au point minimale de 1,70 m le prédestine aux prises de vue rapprochées).
Finalement, l’achat d’un Sony A7 a changé la donne : souhaitant l’équiper de quelques objectifs à mise au point manuelle sans vider mon compte bancaire, mon regard était fixé sur des gammes d’objectifs encore snobées par les utilisateurs de réflex numériques et donc composés d’objectifs beaucoup plus abordables, et notamment la gamme d’objectifs Canon FD que j’utilisais, avec beaucoup de satisfaction, dans les années 1990.
Il est tout à fait surprenant que Canon ait été un des derniers fabricants japonais à arriver sur le marché des objectifs catadioptriques, étant donné que son plus grand concurrent Nikon en commercialisait pas moins de cinq modèles différents avec des focales entre 500 et 2000 mm et ce, dès la naissance du système Nikon F en 1959.
C’est sans doute pour des raisons qualitatives que Canon ait attendu jusqu’en 1978 pour sortir la première version du Canon RL 500 mm f/8, seul objectif à miroir de la marque dédié aux appareils reflex Canon. Conçu pour les appareils reflex du système FD, l’objectif en question n’est pas compatible avec les appareils reflex numériques et argentiques sortis depuis 1987, faute de disposer un tirage mécanique inférieur à celui des objectifs EF et EF-S (42 au lieu de 44 mm). Il est donc impossible d’obtenir une mise au point à l’infini sans avoir recours à un adaptateur optique (nuisible à la qualité optique) ou une modification mécanique, pas toujours réversible.
Heureusement, les appareils hybrides redressent les torts : dépourvus de chambre reflex, leur tirage mécanique est toujours inférieur à celui des objectifs Canon FD, autorisant donc l’adaptation de ces derniers sans modification aucune, par l’intermédiaire d’un simple adaptateur mécanique. A titre personnel, j’utilise le Canon RL 500 mm f/8 sur mon boîtier hybride Sony A7, doté d’un capteur 24 x 36 de 24 mégapixels.
Appartenant aux systèmes catadioptriques, le Canon RL 500 mm f/8 intègre deux miroirs en plus d’une série de lentilles (6 éléments groupés en 3 groupes). Le miroir principal concave recouvre la plus grande partie de la face arrière de l’objectif, le miroir secondaire convexe n’occupe que la partie centrale à l’intérieur d’une grande lentille frontale de grand diamètre.
Le faisceaux lumineux étant replié deux fois (une première fois par le miroir principal, une seconde fois par le miroir secondaire), le chemin parcouru par la lumière est beaucoup plus long que la longueur physique de l’objectif – de quoi faire paraître un objectif à lentilles tel que l’ EF 500 mm f/4 IS II USM L exagérément lourd et volumineux. Avec une longueur de 146 mm et un diamètre de 90 mm, l’objectif ne figure pas parmi les plus compacts, avec un poids de 715 g, il est également un peu plus lourd que la plupart de ses contemporains (Minolta, Nikon, Olympus, Tamron, Tokina, Yashica, Zenit), exception faite des exemplaires signés Nikon (840 g) et Zeiss (802 g).
Malheureusement, la grande époque des objectifs à miroirs est aujourd’hui révolue – hormis les modèles des marques citées plus haut, uniquement disponibles d’occasion, il est possible de trouver quelques produits neufs fabriqués en Chine et Corée du Sud. Malheureusement, leurs qualités mécaniques et optiques sont souvent assez tristounettes et ce même en prenant en compte leurs tarifs particulièrement alléchants.
Par rapport à celle des modèles récents fabriqués au rabais, la réalisation du Canon RL 500 mm f/8 paraît vraiment luxueuse et témoigne de sa cible commerciale (photographes avertis et professionnels).
Hormis un pare-soleil intégré (un tour à droite bloque sa position), il incorpore un adaptateur pour trépied et un tiroir porte-filtre permettant d’échanger le filtre neutre fourni contre un autre sans avoir à démonter l’objectif – tout a été donc conçu pour faciliter l’utilisation du RL 500 mm f/8 sur le terrain. L’adaptateur de trépied est solidaire de l’objectif et il peut également servir de poignée pour faciliter les prise de vue à main levée. Le dispositif de rotation comporte un bouton de blocage qui permet au boitier de pivoter sur 90 ° vers la gauche ou la droite, facilitant ainsi le passage entre les orientations portrait et paysage l’appareil photo sur pied.
Si l’objectif ne possède pas de quoi accueillir des filtres via son filetage frontal (celui-ci ne sert qu’à fixer le bouchon avant…), il est possible d’utiliser des filtres spéciaux à diamètre 34 mm, à faire glisser dans le tiroir de filtre situé entre la bague de mise au point et la monture arrière.
Par défaut, l’objectif est fourni avec un filtre neutre qui n’intervient ni sur l’exposition ni sur la reproduction des couleurs. La bague de mise au point est effectué via une rampe hélicoïdale dont la douceur et la progressivité autorisent un réglage très précis, quelque soit la distance du sujet, entre 4 mètres et l’infini. Afin de pouvoir compenser des variations de mise au point aux basses températures ou lors de l’utilisation de filtres gélatine, l’index des distances va au-delà du repère représentant l’infini.
Bien que pourvu d’une monture FD, le Canon RL 500 mm f/8 ne communique pas son ouverture à l’appareil photo. Mais ce n’est pas bien grave puisque, de toute façon, cette dernière est constante et limitée à f/8 (T/10) !
Un examen de la lentille frontale de l’objectif révèle un traitement antireflet du barillet qui semble particulièrement efficace : hormis les verres et miroirs, toutes les pièces internes ont été noircies par floculation électrostatique pour ainsi éviter des réflexions internes. De même, le fabricant affirme avoir traité toutes les lentilles avec le revêtement multicouche Super Spectra Coating. Bref, en dépit de la longueur un peu chiche du pare-soleil incorporé, le flare et les lumières parasites ne devraient pas poser de problèmes particuliers !
Beaucoup de photographes capitulent trop vite devant l’adversité infligée par les objectifs à miroirs. En fait, nombreux sont ceux qui croient pouvoir maîtriser un tel objectif à main levée alors qu’il leur faudrait parvenir à des vitesses d’obturation supérieures à 1/500 ( 24 x 36), 1/750 (APS-C) ou 1/1000 s tout en restant à f/8.
Qui plus est, la mise au point est extrêmement difficile car la profondeur de champ est quasiment inexistante avec un tel objectif, ne laissant aucune marge de manœuvre entre le net et le flou. Avec un appareil reflex, le combat est perdu d’avance et le manque de netteté, provoquée par un flou de bougé et/ou une mise au point approximative, est alors souvent attribuée à un manque de qualité optique. S’il est possible d’augmenter la sensibilité ISO du capteur (les performances des boitiers actuels autorisent des réglages jusqu’à 3200 ISO sans trop de casse…), le problème reste entier pour la mise au point.
L’utilisation du mode LiveView (ou mieux encore du viseur éléctronique d’un appareil hybride) nous ôtera cette épine du pied : le grossissement important en mode Loupe facilite la mise au point alors que la combinaison des modes Miroir levé et Retardateur et d’un support solide permettront de combattre efficacement le flou du bougé. Le mariage entre un appareil hybride et un objectif catadioptrique sera alors particulièrement heureux : d’une part, l’absence du miroir enlève une des causes du flou les plus courantes et de l’autre, l’association de la loupe, du focus peaking et du viseur électronique offre un confort et une précision extraordinaires en termes de mise au point.
Cependant, un objectif miroir tel que le Canon RL 500 mm f/8 est beaucoup plus à l’aise face à un sujet stationnaire et notamment lorsqu’il est fixé sur un monopole ou trépied. Pour être précise, la mise au point demande tout de même quelques secondes avec le mode Loupe activé. L’image sautillante dans le viseur est alors déjà suffisamment éprouvante sur un support stable lorsqu’elle est fortement agrandie. De même, l’utilisation d’un trépied permettra d’allonger la vitesse d’obturation de 2 à 3 IL environ en fonction de la stabilité de l’ensemble rotule-trépied, ce qui vous permettra d’obtenir des vitesses ISO plus modérées et donc une meilleure qualité d’image (dynamique, saturation des couleurs et bruit).
La manipulation de l’objectif est toujours très agréable, grâce à la course très précise de la bague de mise au point. A main levée, le support pour trépied reste très utile pour équilibrer l’ensemble objectif-appareil photo.
Notez que la forme annulaire de la pupille d’entrée d’un objectif miroir transforme d’éventuels points lumineux dans l’image en anneaux clairs. Le bokeh de type “beignet” produit donc souvent un arrière-plan qui détourne l’attention du sujet principal. Il convient donc de surveiller ce phénomène et de le corriger soit à la prise de vue, en modifiant la composition et/ou le cadrage, soit au posttraitement, en appliquant le filtre Flou gaussien au fond.
Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi cet objectif parmi les nombreux objectifs catadioptriques du marché d’occasion. D’abord, le Canon RL 500 mm f/8 fut l’un des vainqueurs (avec le Nikon) d’un test publié dans les années 1980 par le journaliste très réputé Walter E. Schön du magazine allemand Color Foto. Ensuite, il avait remporté un autre test publié par le magazine Chasseur d’images (toujours en binôme avec le même Reflex-Nikkor). Enfin, l’objectif à miroirs Canon échappe encore à l’attention des collectionneurs de matériel photo (pendant combien de temps…), lui garantissant des prix plutôt raisonnables sur le marché d’occasion, contrairement au Reflex-Nikkor dont la côte s’est envolée ces dernières années…
Alors que la plupart des téléobjectifs à lentilles souffrent d’aberrations chromatiques plus ou moins intenses, les objectifs à miroirs en sont complètement dépourvus. Si l’élimination des franges colorées n’est donc plus une nécessité au posttraitement, les objectifs catadioptriques souffrent d’un manque de contraste et d’un vignetage plutôt marqués. L’objectif Canon s’en sort plutôt bien : dans Camera Raw, il suffit d’augmenter le contraste (+10), l’accentuation et la clarté (+20) et de corriger le vignetage (Niveau +55, Milieu 12) pour harmoniser le rendu avec celui de mes autres objectifs. L’objectif s’exprime au mieux dans les distances proches et moyennes, la netteté des vues lointaines étant souvent compromise par des phénomènes atmosphériques.
Un objectif à miroirs n’est pas une solution passe-partout pouvant satisfaire tous les besoins d’un photographe en matière de longues focales, loin de là. Il faut plutôt le considérer comme une corde supplémentaire à son arc, au même titre qu’un objectif fish-eye, un objectif à décentrement et bascule ou un objectif « soft focus ». Sélectionnez-le pour alléger votre fourre-tout et/ou pour produire des images au « look » différent.
Toutefois, ne rêvez pas – le Canon RL 500 mm f/8 ne remplacerait jamais un objectif à lentilles, beaucoup plus « universel », lumineux et performant. En revanche, il est bien plus qu’un jouet pour photographes fauchés. Avec un peu d’entraînement, il vous permettra de produire des images saisissantes. Et c’est pourquoi je l’ai choisi pour compléter une petite gamme d’objectifs manuels dédiée à mon Sony A7. Reste à trouver une occupation à mon Tamron SP 500 mm f/8, battu à plate couture aux distances supérieures à 4 mètres, mais toujours sans rival lorsqu’il s’agit d’immortaliser de petits insectes craintifs.